Dans une capitale rongée par la violence et le désespoir, une annonce fait l’effet d’une bombe : le maire de Port-au-Prince, Youry Chévry, a décidé de maintenir l’organisation du carnaval. Mais, dans cette ville où la peur est omniprésente et où des milliers de familles fuient les bandes armées qui règnent en maîtres, est-il encore possible de célébrer ?
D’abord, il est impossible d’ignorer la situation catastrophique dans laquelle se trouve la population. Les quartiers de Port-au-Prince sont sous le joug des gangs, et la vie des habitants est devenue un combat quotidien. Les maisons sont abandonnées, les rues sont des champs de bataille, et les familles déplacées survivent dans des camps de fortune. Des femmes, des enfants, des hommes, tous traînent derrière eux des souffrances qui ne cessent de grandir. Chaque jour, des vies sont brisées, des familles séparées, des innocents tués. Et au cœur de ce chaos, on parle d’un carnaval.
Ensuite, l’annonce de cet événement est perçue comme une insulte par beaucoup. « Comment peut-on organiser une fête quand des milliers de personnes n’ont plus de toit, quand des enfants sont morts dans les bras de leurs mères, quand des familles sont séparées par la violence ? », s’indigne une habitante, son regard marqué par la détresse. Elle, comme tant d’autres, a vu sa vie dévastée par les gangs. Ses enfants ont dû fuir dans la nuit, elle ne sait même pas où ils sont maintenant. Pour elle, la fête semble une dérision absolue face à tant de souffrances humaines.
Par ailleurs, la question de la sécurité s’impose avec une brutalité inquiétante. Port-au-Prince est une ville où l’ordre n’existe plus. Les forces de l’ordre sont impuissantes face aux gangs qui font la loi. Rassembler des milliers de personnes dans un contexte aussi tendu semble non seulement irréfléchi, mais aussi irresponsable. Si les autorités échouent à garantir la sécurité des habitants, qu’en sera-t-il des participants au carnaval ? Une célébration de la vie pourrait vite se transformer en un drame, avec des innocents pris au piège de la violence.
Cependant, certains défendent l’idée que le carnaval pourrait être un acte de résistance, une manière de redonner un peu de lumière à une ville en ruine. Mais pour la plupart des Haïtiens, ce n’est pas de musique qu’ils ont besoin. Ils n’attendent pas des parades et des danses, mais des solutions concrètes. Ils ont besoin de nourriture, de sécurité, de justice. « On préfère un abri sûr à une fête », confie une autre habitante, la voix brisée.
En conclusion, la décision d’organiser le carnaval dans une ville en proie à une violence sans fin est profondément polémique. Mais, derrière les costumes et les couleurs, c’est une population entière qui attend des actes réels, pas des distractions. Dans un Port-au-Prince asphyxié par la terreur, le carnaval n’est qu’un mirage. Tant que l’insécurité régnera, le bruit des tambours ne pourra masquer le silence des souffrances vécues par tant d’habitants.
Le véritable carnaval, celui qui redonnera à Port-au-Prince sa dignité, se trouve dans les actions concrètes pour restaurer la paix et la sécurité, et non dans une fête déconnectée des réalités de la ville.
Venel Nelson