Ce 7 février 2025 marque 39 ans depuis que la République d’Haïti a amorcé sa transition vers la démocratie. Après 29 ans sous l’égide d’une dictature féroce, la population s’était massivement mobilisée au début des années 1980, aboutissant au renversement du pouvoir dictatorial dirigé par Jean-Claude Duvalier. Cette victoire donna naissance, quelques années plus tard, à une Constitution libérale mettant l’accent sur les droits fondamentaux des citoyens. Cependant, près de quarante ans après, où en est cette transition démocratique ?
Les premières étapes d’une transition décevante
Après la chute de « Baby Doc », les citoyens, fraîchement libérés du joug autoritaire, se sont déplacés en grand nombre pour s’exprimer en faveur d’une nouvelle Constitution. Les élections de 1990 allaient confirmer l’enthousiasme de la population pour un changement radical de système.
Mais si la dictature avait disparu des rouages du pouvoir, les pratiques autoritaires, elles, étaient loin d’être éradiquées.
Dès 1991, Jean-Bertrand Aristide, élu un an plus tôt à la faveur d’un déferlement populaire, fut renversé par un coup d’État militaire après seulement quelques mois au pouvoir. Depuis, la transition démocratique n’a cessé de se dégrader, enchaînant crises politiques et conflits de toutes sortes, mettant ainsi en péril son aboutissement.
Une transition démocratique ratée
Dire que la transition démocratique a échoué en Haïti n’est pas une exagération. Initiée après la fin de la dynastie des Duvalier, son échec découle de plusieurs facteurs majeurs : l’instabilité politique, la faiblesse des institutions, la corruption, entre autres, constituent des obstacles majeurs à son succès.
Certains estiment même que le processus de démocratisation haïtien a été compromis dès le départ par la Constitution de 1987 elle-même. Jugée trop rigide pour un pays en pleine transition, elle n’a pas facilité sa propre mise en œuvre.
La date historique du 7 février, banalisée
Après la révolte populaire des années 1980 ayant conduit à la chute de l’autoritarisme, la date du 7 février est restée gravée dans la mémoire collective. L’article 134-2 de la Constitution de 1987 l’a même consacrée comme date de l’investiture présidentielle.
Cependant, depuis une décennie, les crises politiques récurrentes ont mené à une banalisation de cette date historique.
Plutôt qu’un moment de réflexion pour évaluer l’état de la démocratie haïtienne, le 7 février est désormais marqué par des manifestations violentes, motivées par la quête du pouvoir et des intérêts partisans. Le jeu démocratique est relégué au second plan, au profit d’une lutte acharnée entre acteurs politiques, souvent déconnectés des préoccupations réelles du peuple.
Aujourd’hui, le constat est sans appel : la démocratie en Haïti est loin d’être ce qu’on espérait qu’elle devienne. Mais à qui la faute ?
Un échec partagé
L’échec de la transition démocratique en Haïti est une responsabilité collective. Tous les secteurs de la vie nationale y ont contribué, d’une manière ou d’une autre.
Toutefois, comparée aux élites politique et économique, et même à la société civile, la responsabilité de l’élite intellectuelle est encore plus accablante.
Depuis les grandes écoles de pensée qui ont influencé la « pensée politique » haïtienne aux XIXe et XXe siècles, la politique haïtienne a connu une déchéance regrettable, ouvrant aujourd’hui la voie à la criminalité. Ce qui devait être un débat d’idées s’est transformé en une lutte armée pour le pouvoir. Et à bien des égards, ce déclin trouve son origine dans une faillite intellectuelle.
L’approche d’Alexis de Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution illustre parfaitement cette hypothèse. Tocqueville y explique comment les philosophes et écrivains ont influencé la Révolution française de 1789. Les idées façonnent les révolutions, et leur absence ou leur faiblesse condamne un pays à l’impasse.
Que faire maintenant ?
Face à l’état actuel de la démocratie en Haïti, les élites doivent faire une introspection et mesurer leur degré de responsabilité dans cet échec.
L’élite intellectuelle, en particulier, doit se mettre au travail pour reconstruire une « pensée politique » haïtienne.
Par ailleurs, la réconciliation nationale s’impose comme un impératif pour l’avenir du pays. Le renforcement des institutions, la promotion de la bonne gouvernance et l’éradication de la corruption sont autant de chantiers incontournables si l’on veut renverser la tendance actuelle.
Après 39 ans d’errance démocratique, aggravée par la montée des gangs armés, il est temps que la démocratie devienne une réalité en Haïti. Le pouvoir doit enfin être « celui du peuple, par le peuple et pour le peuple ».