Jean Charles Moïse croyait sans doute pouvoir renouer avec sa fameuse « base populaire » en allant prêcher la bonne parole à Saint-Raphaël, dans le département du Nord, dimanche 4 mai dernier. Il avait préparé ses discours, aiguisé ses slogans, ajusté son képi — pardon, son chapeau de révolutionnaire professionnel. Mais la réalité l’attendait au tournant. Ou plutôt, la foule en colère.
Le leader de « Pitit Dessalines » a eu droit non pas à une ovation, mais à une bronca d’une rare intensité. À Saint-Raphaël, on ne l’écoute plus, on le hue. Et surtout, on le chasse.
L’ancien sénateur, autrefois coqueluche des masses opposées au régime PHTK, est désormais perçu comme un habile contorsionniste politique. « Traître », « opportuniste », « vendu », « Tancrède » : autant de doux surnoms lancés par les habitants, visiblement peu enclins à lui offrir une seconde chance. Son flirt prolongé avec les gouvernements d’Ariel Henry et de Garry Conille, puis sa participation controversée au Conseil présidentiel de transition, ont sérieusement terni son image de chevalier noir de l’opposition. Celui qui se voulait prorusse a fini, aux yeux de certains, comme valet de l’Oncle Sam.
Dès les premières minutes du rassemblement, l’ambiance a viré au vinaigre. Loin d’un meeting politique classique, le leader a dû improviser… un départ en sprint. Pris en chasse par une foule chauffée à blanc, Jean Charles Moïse a été contraint de battre en retraite sous les cris de « Dehors ! », protégé tant bien que mal par une poignée d’agents de la Brigade de surveillance des aires protégées (BSAP), aussi dépassés que désemparés. L’événement s’est transformé en une sorte de marathon improvisé, où l’unique objectif était de sauver sa peau.
Ce revirement populaire ne tombe pas du ciel. Ceux qui voyaient en lui un défenseur intransigeant des masses marginalisées n’ont pas digéré son glissement progressif vers les allées du pouvoir. « Le pouvoir rend fou, dit-on… mais il rend surtout impopulaire quand on oublie pourquoi on y est allé », murmure-t-on parmi les anciens fidèles.
Des observateurs parlent même d’un quasi-lynchage évité de justesse. Certains affirment que, sans de bonnes chaussures ce jour-là, Moïse aurait pu goûter au désormais tristement célèbre « Bwa kale », cette forme expéditive de justice populaire qui rôde autour de plusieurs figures politiques depuis des mois.
Ainsi va la politique en Haïti : on peut être porté en triomphe un jour, et poursuivi à coups de pierre le lendemain. Jean Charles Moïse retiendra surtout qu’à Saint-Raphaël, la campagne ne rime plus avec bain de foule… mais avec fuite en courant.