Comme chaque année, le 18 mai marque en Haïti la célébration du drapeau national, ce bicolore bleu et rouge cousu pour la première fois à l’Arcahaie en 1803, symbole de la lutte pour la liberté et de l’unité d’un peuple. Toutefois, derrière les défilés d’écoliers, les discours officiels et les fanfares patriotiques, une réalité plus amère s’impose : fêter le bicolore en Haïti est devenu un exercice d’équilibre entre un profond désir d’espoir et une honte de plus en plus difficile à ignorer.
Une fierté historique en berne
Le drapeau haïtien incarne l’héroïsme de ceux qui ont arraché l’indépendance à l’un des plus puissants empires coloniaux de l’époque. Il est le legs d’un peuple qui a bravé l’esclavage pour faire naître la première république noire libre du monde. C’est ce récit que les manuels scolaires et les cérémonies du 18 mai s’évertuent à transmettre, souvent avec sincérité, parfois avec solennité forcée.
Mais dans les rues de la capitale, ce même drapeau flotte aujourd’hui au-dessus d’un pays rongé par l’instabilité politique, la pauvreté extrême, la violence des groupes terroristes et un effondrement progressif des institutions. Cette dichotomie est durement ressentie par les citoyens.
Une jeunesse tiraillée
Pour les jeunes Haïtiens, le 18 mai est souvent plus un jour férié qu’un moment de réflexion nationale. Nombreux sont ceux qui, s’ils ne profitent pas de la journée pour s’amuser, choisissent au contraire de s’interroger sur leur avenir dans un pays où les perspectives s’amenuisent.
« J’aime mon drapeau, mais je n’ai plus envie de chanter pour lui », confie Rony, un jeune diplômé en informatique, sans emploi depuis deux ans. « C’est comme aimer une maison qui s’écroule sur toi. »
Et pourtant, une partie de cette même jeunesse continue de résister, de créer, d’espérer. Dans les quartiers populaires comme dans les universités, des mouvements citoyens émergent, des projets culturels voient le jour, des voix s’élèvent.
Le drapeau comme miroir
Fêter le bicolore aujourd’hui, c’est accepter de regarder dans le miroir d’un pays qui se cherche. Le bleu, censé symboliser l’union, semble flétri par les divisions politiques et sociales. Le rouge, représentant le sang des ancêtres, est éclaboussé chaque jour par une violence devenue banale.
Mais c’est peut-être justement dans cette tension entre l’idéal et le réel que se joue le destin d’Haïti. Tant que le drapeau est encore hissé, tant que des enfants le dessinent à l’école, tant que des voix, même faibles, s’élèvent pour revendiquer une autre Haïti, il reste un espoir.
Entre espoir et honte
Le 18 mai 2025 n’est pas différent des précédents : drapeaux dans les rues, discours sur les estrades, chants patriotiques et costumes d’apparat. Mais derrière les festivités, c’est toute la douleur d’un peuple en lutte contre lui-même qui s’exprime.
Fêter le bicolore, c’est choisir de ne pas oublier d’où l’on vient, tout en osant rêver de ce que l’on pourrait encore devenir. Même si l’espoir semble lointain. Même si la honte est parfois plus lourde que l’orgueil.
« Le drapeau n’est pas un simple tissu, c’est une promesse. À nous de décider si nous voulons encore y croire. »