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Mario et son fils fauché par la tentation des armes

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Il s’appelait Junior. Il n’avait que 17 ans quand il a été happé par l’univers violent et séduisant des gangs armés. Son père, Mario, chauffeur de camion, avait tout sacrifié pour lui offrir un avenir meilleur. Mais en Haïti, la rue parle plus fort que les conseils d’un père.

Credit phot: DW/Java

On le surnomme Mario. Il a ce genre de prénom qui colle à la peau comme un vieux bleu de travail : modeste, commun, mais chargé d’histoires. Mario a 46 ans, une silhouette fine, presque maigre, un visage buriné par les années et marqué des rides que seul le labeur quotidien sait graver. Il est chauffeur de camion. Il transporte de l’eau en sachets et des blocs de glace pour une petite compagnie de la capitale. Une vie honnête, sans éclat, mais digne.

Il a quitté l’école trop tôt, contraint par la misère et les cheveux déjà blancs de ses parents. Mais il a appris à survivre. Il se débrouille en mécanique, parle moteur, huile et bougies avec une aisance rustique. Mais c’est derrière un volant qu’il s’est construit une existence. Une vie modeste, certes, mais bâtie avec fierté.

Mario avait un fils. Junior. J’ai bien dit avait. Vous comprendrez pourquoi. Junior, c’était son monde. Son unique raison d’espérer. Il l’avait inscrit dans de bonnes écoles, celles que l’on appelle ici « renommées », même si ce mot, parfois, n’a que l’apparence du prestige. Il s’était sacrifié pour lui, roulant sans relâche, s’endormant dans les camions, mangeant froid et comptant chaque sou. Mais élever un fils, ce n’est pas seulement payer des frais de scolarité. Encore faut-il être là. Or Mario passait ses journées dans les rues, son dos collé au siège du camion, son regard braqué sur la route.

Et Junior grandissait. Seul. Mal orienté

Il a 17 ans. L’âge des illusions. Il écoute la radio, suit les réseaux sociaux, entend les noms des chefs de gangs qui font trembler les quartiers. Des voix rauques, des récits de puissance et d’impunité. Des hommes qui parlent fort, exhibent armes et dollars, imposent le silence et la crainte. Et Junior, lui, s’émerveille. Il les imite. Il parle comme eux, s’habille comme eux, marche comme eux.
Il commence à défier son père. À menacer le voisinage. « Ha misye gen foli », disent certains. Mais personne ne lui tend la main. Pas de soutien. Pas d’intervention. Juste une société impuissante et résignée.

Puis un matin, on apprend qu’il fréquente régulièrement des activités occultes, « mystiques » tenues par un chef de gang à Pernier. Il en revient transformé, enflammé, racontant ce qu’il a vu, comme un évangile de terreur. Séduit, Junior retourne là-bas. De plus en plus souvent. Jusqu’au jour où la nouvelle tombe, comme un couperet : Junior est un des leurs.

Il a franchi la ligne

Le chef l’a reconnu, les soldats l’ont adopté. Il est maintenant dans la famille. Celle qui ne pardonne ni le doute, ni le retour en arrière. Mario, impuissant, baisse les bras : « Mwen te mete l lekòl, mwen te ba l manje, mwen te avèti l kont mesye sa yo. Sa pa fòt mwen. » Et puis, un jour, Junior sort et ne rentre pas. Ce n’est pas inhabituel. On n’y prête pas attention. Jusqu’à ce que deux jours passent. Puis trois. Et que la rumeur enfle.

Il aurait été tué. Dans une attaque ratée contre la résidence d’un haut gradé de la Police nationale, à Pétion-Ville. Un ami croit reconnaître son T-shirt dans une vidéo circulant sur les réseaux. Le même qu’il portait ce matin-là. Junior lui avait d’ailleurs envoyé une vidéo quelques jours plus tôt. Il y exhibait fièrement une arme et des mouchoirs. Et c’est bien lui, sur les images. Allongé, inerte, parmi une dizaine d’autres bandits abattus. Des jeunes pour la plupart. Des silhouettes trop maigres pour la guerre, trop jeunes pour mourir.

Mario est effondré. Dévasté. Il n’avait que lui. Un fils pour lequel il croyait avoir fait le nécessaire. Mais la rue, plus persuasive que les leçons, a gagné. Il n’y eut pas de funérailles. Pas de cercueil. Pas de larmes publiques. Seules celles silencieuses du père. Juste un murmure dans la zone. Et un avertissement : « Pa fè tankou Junior. »
Ses amis l’ont vite oublié. Mais son nom demeure, murmuré comme un symbole de ce choix tragique : fuir l’école pour l’ombre factice des gangs. Une fascination devenue malédiction.

Mario conduit encore. Chaque jour. Il n’a plus la même lumière dans les yeux. Au coin de sa rue, un vieux garage garde une voiture inachevée. Il la réparait pour les 18 ans de Junior. Il y pense chaque fois qu’il passe. Il imagine ce qu’aurait pu être la vie de son fils s’il avait résisté. S’il avait tenu tête. S’il avait choisi un autre rêve.

Mais le rêve haïtien, parfois, se décompose en cauchemar avant même d’avoir été rêvé.

Wandy CHARLES
Vant Bef Info (VBI)

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