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À Port-au-Prince, les gangs criminels mènent une guerre contre tout

Depuis plusieurs années déjà, la capitale Port-au-Prince fait face à une insécurité sans précédent. Le jeudi 29 février 2024, cette situation a pris une tournure dévastatrice lorsque les gangs criminels, réunis sous la bannière « Viv ansanm », ont lancé des attaques simultanées sur la capitale, tuant civils et policiers. Sans aucun répit, les malfrats ont, depuis, attaqué des quartiers, tué les gens par dizaines, incendié des propriétés, etc. Et pour renverser la vase, ils ont quasiment détruit un patrimoine, lorsqu’ils ont incendié les locaux de la Radio Télévision Caraïbes (RTVC) dans la nuit du 12 au 13 mars dernier. Avec cet acte, ces criminels sans foi ni loi prouvent enfin qu’ils n’ont pas un ennemi précis mais que leur guerre est livrée contre absolument tout dans le pays.

Eliana Télémaque : une guerre contre la vie

Les agissements des criminels armés montrent qu’ils mènent une guerre contre la vie dans le pays. Chacun de leurs forfaits laisse toujours derrière des dégâts irréparables et des séquelles néfastes pour les citoyens. Pillages, viols collectifs, massacres, les atrocités sont nombreuses. Et Port-au-Prince est transformé en un cimetière à ciel ouvert.

Pour preuve, durant les deux dernières années, cette guerre contre l’existence a fait plus de 10.000 morts dans le pays. Après plus de 4.789 en 2023, plus de 5.600 ont été enregistrés en 2024, selon les Nations unies. Ce score de l’année dernière a même classé la capitale Port-au-Prince à la première place des villes les plus meurtrières au monde, selon un organisme mexicain.

À Port-au-Prince, personne n’est à l’abri. Jeune ou vieux, femme ou enfant. En janvier 2025, un nourrisson de deux mois a été arraché des bras de sa mère pour être calciné.

En été 2020, à Cité Soleil, on peut se rappeler que même à l’intérieur du ventre de sa mère, un bébé n’a pas été épargné non plus. Enceinte de neuf mois, sa mère a été atteinte d’un projectile assassin en plein dans la tête, la tuant ainsi que son bébé. Il est clair que la guerre des bandits est donc livrée contre la vie.

Junior Marion : une guerre contre les infrastructures

Junior Marion est un ancien policier. Il a été affecté au sous-commissariat de Bon Repos lorsque la coalition criminelle « Viv ansanm » a lancé un assaut contre cette infrastructure policière dans l’après-midi du jeudi 29 février 2024.

Six policiers ont été tués ce jour-là. Mais la mort de Marion a été particulièrement brutale. Après avoir rendu l’âme, il a été décapité à coups de manchette et de couteau. Ses bras ont été séparés de son corps et son sexe arraché. Horrible !

Et par la suite, l’espace du sous-commissariat a été complètement détruit par le caïd de Canaan, Jeff gwo lwa, et ses hommes de main. Et ce n’était que le début dans une véritable course criminelle à la destruction d’infrastructures publiques comme privées.

Plusieurs autres espaces appartenant aux forces de police, plusieurs prisons, ont ainsi été détruits. Des établissements scolaires et d’enseignement supérieur, des hôpitaux, des infrastructures bancaires, des propriétés privées, des églises, entre autres, ont été effacés par les criminels.

RTVC : enfin, c’est une guerre contre tout !

Alors que des attaques incessantes se multipliaient au centre-ville de Port-au-Prince, notamment dans les parages de la RTVC, depuis l’assaut de « Viv ansanm » sur la capitale en février 2024, l’équipe de la station s’était délocalisée à Pétion-ville.

Plus tard, certains de ses membres ont été menacés publiquement par des leaders de la coalition criminelle. Guerrier Dieuseul et Johnny Ferdinand ont été directement pointés du doigt lors d’un live TikTok de plusieurs membres influents de la coalition criminelle.

Toutefois, bien que les menaces étaient réelles, personne n’avait osé imaginer un jour la destruction de cet espace mythique, jusqu’à ce jeudi matin, lorsque cette nouvelle a résonné dans la ville comme le sarcasme d’une mauvaise note mal combinée dans une mélodie décevante. Comme ce fut le cas lorsque les locaux du journal Le Nouvelliste, vieux de 127 ans, ont été vandalisés par les malfrats l’année dernière, la population avait été consternée.

L’incendie de la RTVC n’est pas seulement une atteinte à la liberté d’expression, c’est une atteinte à l’existence dans le pays car les criminels prouvent finalement que leur guerre est livrée contre tout.

Après plus de 76 ans d’existence, la RTVC n’est pas qu’un patrimoine. C’est un témoin oculaire de plusieurs dizaines d’années de l’histoire récente du pays. Allant de Dumarsais Estimé, en passant par le gouvernement sanguinaire des Duvalier, jusqu’à notre transition démocratique ratée, Caraïbes FM était là.

Et un État failli !

Dans un État, démocratique en particulier, le rôle premier de l’autorité publique est d’organiser la vie sociale en fixant les règles et en protégeant les libertés. Et pour y parvenir, cette autorité dispose de ce que Max Weber appelle « le monopole de la violence légitime », moyen avec lequel, elle réprime toutes les formes de déviances. Et un État qui ne parvient pas à monopoliser la force à l’intérieur de son propre territoire se retrouve donc au bord de la faillite.

En effet, selon les définitions universitaires, notamment du Crisis States Research Centre de la London School of Economic and Political Science, un État est failli, c’est lorsqu’il « est incapable de remplir ses fonctions de base, et notamment d’assurer la sécurité intérieure et extérieure, bien qu’il dispose théoriquement du monopole de la force publique ».

De ce fait, ne pouvant pas garantir la sécurité, le premier des biens publics, l’État haïtien a donc failli à sa mission la plus élémentaire. Les données évoquées plus haut dans ce texte le prouvent. Plus de 10.000 personnes tuées dans un pays en seulement deux ans, plus de 85 % des territoires de la capitale contrôlées par les gangs, est une catastrophe. Si rien n’est fait, le pays peut disparaître à tout moment.

Et alors que désormais nous sommes au bord de l’effondrement complet, la guerre des criminels se poursuit pendant que chaque Haïtien se retrouve piégé entre « le désir de tuer » de ces derniers et « l’incapacité de l’État » à faire régner l’ordre. Viendra-t-il donc un jour, notre sauveur ?

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