Ankèt

Anthony Phelps n’est plus : l’étoile du verbe s’éteint, mais sa lumière demeure

Dans l’aube silencieuse de Montréal, alors que la ville sommeillait sous un ciel d’hiver, un souffle s’est retiré du monde des vivants. Anthony Phelps, poète du déracinement et de l’exil, a tiré sa révérence dans la nuit du 10 au 11 mars 2025. Loin de sa terre natale, il s’est éteint doucement, entouré de l’amour des siens. Mais si son corps a plié sous le poids des ans, son œuvre, elle, demeure vivante, portée par le vent et la mémoire.

Né en Haïti le 25 août 1928, Phelps a sculpté ses mots dans la chair du temps. Sa poésie, empreinte d’ombres et de lumières, résonne comme un chant profond qui traverse les âges. Mon pays que voici, ce poème devenu légendaire, est une déclaration d’amour et de douleur, un cri suspendu entre le souvenir et l’absence. Publié en 1969, il a fait le tour du monde, porté par la voix grave et pénétrante de son auteur.

Homme de lettres couronné de gloire, il a vu son talent reconnu bien au-delà des frontières. De l’Académie française au prix Carbet, de la France au Mexique, son écriture a traversé les océans et les époques. « Il est mort dans son sommeil », confie un proche, comme pour souligner cette douce transition entre la vie et l’éternité. Un départ en accord avec sa poésie, qui a toujours mêlé le bruissement du silence à la puissance du verbe.

Mais avant d’être honoré, il a connu l’épreuve. Emprisonné sous la dictature de François Duvalier, il a dû prendre le chemin de l’exil, trouvant refuge au Canada. Pourtant, même loin, Haïti n’a jamais cessé de battre en lui, comme un tambour incessant. Chaque vers qu’il posait sur le papier était une manière de rebâtir ce pays qu’il portait en son âme. « Je suis une île, ma mémoire est une mer », semblait-il murmurer à travers ses écrits.

Ce chant du déracinement, le cinéaste Arnold Antonin l’a capté dans son film Anthony Phelps à la frontière du texte. Une anthologie visuelle où les mots du poète se mêlent aux images d’Haïti et de Montréal, ces deux terres qui ont façonné son destin. Pendant 80 minutes, la caméra caresse son visage, suit son pas, écoute sa voix, retraçant avec pudeur et admiration le parcours d’un homme dont la vie fut un poème inachevé.

Aujourd’hui, Haïti pleure son fils, mais ne le perd pas. Car un poète ne meurt jamais vraiment. Il demeure dans l’écho de ses vers, dans le frémissement des pages tournées, dans la mémoire de ceux qui l’ont lu et aimé. Anthony Phelps s’est endormi, mais sa parole veille, telle une lumière indélébile sur la mer de l’Histoire.

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