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Par Wandy CHARLES
Le 14 août 1791, il y a tout juste 234 ans, dans une clairière étendue du Nord de Saint-Domingue, des esclaves marrons se rassemblent autour d’un rituel vaudou pour sceller un pacte : la liberté ou la mort. Cet acte, prélude à l’insurrection des plantations et au déclenchement de la Révolution haïtienne, est devenu un jalon fondateur, magnifié par certains, contesté ou édulcoré par d’autres.
Pétion-ville, 13 Aout 2025.- Plus de deux siècles après, à la veille de sa commémoration officielle dans le Nord, l’épisode continue d’alimenter les plumes, de nourrir les imaginaires et de cristalliser les débats. Dans cet article, nous reviendrons sur certains écrits consacrés à cette épopée fulgurante de la première République noire du monde.
Bois Caïman sous les plumes haïtiennes
Hérard Dumesle fut l’un des premiers à élever Bois Caïman au rang d’épopée. Dans Voyage dans le Nord d’Hayti (1824), il campe la scène : « Le ciel grondait, la pluie tombait à torrents… Dans cette obscurité, un cri monta : Liberté ! Les mains se levèrent vers le ciel, les corps frémissaient au rythme des tambours. »
Pour lui, la cérémonie transcende la religion ; elle insuffle l’élan d’une révolution.
À l’inverse, Céligni Ardouin, dans ses Essais sur l’Histoire d’Haïti (1865), dégonfle la légende :
« On a prêté au Bois Caïman un rôle qu’il n’eut point ; la révolte n’a pas surgi d’une nuit de sortilèges, mais de longues années de souffrances et d’aspirations. »
En 1924, Jean C. Dorsainvil ancre l’épisode dans le roman national via son Manuel d’histoire d’Haïti, repris par Price-Mars : « Sous la pluie battante, Boukman… et la prêtresse Cécile Fatiman unirent dans un serment de sang tous les cœurs et toutes les forces : vivre libres ou mourir. » Plus près de nous, l’anthropologue Rachel Beauvoir-Dominique et Eddy Lubin livrent en 2000 une étude sur le site : « Chaque 14 août, la clairière s’emplit de chants, de danses, d’offrandes… Ce pèlerinage n’est pas seulement mémoire du passé: c’est une revendication d’identité. »
Regards étrangers : fascination, incompréhension et réhabilitation
Chercheur en sciences religieuses à Duke University, Lenny J. Lowe voit dans Bois Caïman un exemple rare où rituel religieux et déclaration de guerre se confondent. S. D. Anderson, historienne spécialisée dans l’étude des mouvements révolutionnaires afro-atlantiques, déplore, dans une publication de 2016, que « les historiens coloniaux aient effacé ou minimisé la dimension religieuse de l’événement ». Sociologue et philosophe haïtiano-américain, Paul C. Mocombe s’attaque, dans Why Haiti is Maligned in the Western World (2010), au cliché du « pacte avec le diable » popularisé par le télévangéliste américain Pat Robertson : « Ce n’était pas un pacte avec les forces infernales, mais une alliance entre opprimés, scellée par leurs dieux et leurs ancêtres, pour détruire le système esclavagiste. » Enfin, des plateformes comme The Black Atlantic, dirigée par un collectif de chercheurs en études africaines et caribéennes et le média haïtien AyiboPost explorent la réappropriation culturelle de l’événement, en musique ou en discours, comme symbole de résistance et d’affirmation identitaire.
Mythe fondateur pour Dumesle et Dorsainvil, objet de prudence pour Ardouin, miroir des perceptions du vaudou pour nombre d’observateurs étrangers : Bois Caïman demeure une scène de tensions narratives. Mais derrière les divergences, une évidence s’impose : dans la nuit du 14 août 1791, des hommes et des femmes ont osé se promettre la liberté. Price-Mars résumait ainsi la portée de l’acte : « Bois Caïman ne fut pas seulement un acte religieux, mais un acte de foi dans la dignité humaine. »
En tout cas, Demain dans le Nord du pays, tambours, prières et reconstitutions redonneront vie à cette clairière historique. Au-delà des controverses, le souffle du serment résonnera encore, rappelant que cette nuit-là, une nation, un peuple s’est levé. Et, Bois Caïman restera un héritage indéracinable.
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