La nuit était lourde sur Kenscoff, oppressante comme si elle savait déjà ce qui allait s’y dérouler. Eliana Thélémaque serrait son bébé contre sa poitrine, cherchant dans sa chaleur fragile une illusion de sécurité. Mais l’horreur n’a pas besoin d’invitation. Elle est entrée chez elle, bottes crissant sur le sol, armes prêtes, cœurs absents.
— Jette-le dans le feu.
Une injonction qui n’avait rien d’humain. Eliana crut d’abord à une erreur, un mauvais cauchemar. Elle recula, tremblante, secoua la tête. Mais, il n’y avait pas d’échappatoire.
— Fais-le, ou on le fait pour toi.
Sa gorge était sèche. Ses bras se refermèrent sur son enfant. Elle aurait préféré mourir, cent fois, mille fois, plutôt que d’obéir.
Alors ils le lui prirent.
D’un geste brutal, impitoyable, ils arrachèrent le nourrisson de ses bras et, avant même qu’elle ne puisse hurler, il fut projeté dans les flammes.
Combien de temps un bébé de deux mois peut-il lutter contre le feu avant que la douleur ne l’éteigne ?
Eliana n’avait pas de réponse. Tout ce qu’elle savait, c’est que le cri perçant qui s’éleva lui transperça le cœur. Ce fut un cri court, trop court. Puis un silence pire que la mort.
Elle s’effondra. Autour d’elle, des rires, des injures, des ombres indifférentes. Puis le vide.
Eliana ne parla plus après cette nuit. Elle erra, hagarde, traînant un corps devenu trop lourd pour une âme qui n’y était plus. Elle ne pleura pas. Que restait-il à pleurer, quand tout avait brûlé ?
Le 14 février, son corps fut retrouvé, sans vie.
On dit qu’elle est morte de faim. D’autres murmurent qu’elle est morte de chagrin.
Mais ceux qui l’ont vue cette nuit-là savent.
Elle était déjà morte dans les flammes.