Un pays sans autorité, livré aux groupes terroristes, dirigé par des gens qui ne dirigent rien. Voilà le théâtre de la tragédie survenue lundi 14 juillet à Carrefour Similien, dans la zone de Delmas 75. Une motocyclette, deux jeunes à bord. Puis surgit un cortège officiel. Il percute, écrase… et s’en va. Bilan : une morte, un blessé grave. Et comme toujours, zéro conséquence.
Joseph Medjernie, 23 ans, s’apprêtait à se rendre à l’école, cherchant à s’instruire et à progresser, contrairement à ces dirigeants enfermés dans leur ignorance et leur arrogance. C’est pourtant elle qui a perdu la vie, victime directe de la médiocrité et du mépris des autorités supposées responsables. Le motard, Samedi Wood Jerry, 20 ans, a survécu, mutilé, entre la vie et la mort. La moto a été violemment percutée par un véhicule d’un convoi officiel lancé à vive allure, malgré l’effort du conducteur de se ranger sur le trottoir pour livrer le passage à ces autorités — ces véritables escadrons de la mort.
Selon les informations relayées par l’agence en ligne Juno7, le cortège n’avait même pas ralenti après l’impact. Ce n’est que sous la pression des habitants de la zone, qui ont vivement protesté, qu’il a fini par ralentir. Mais les membres du convoi ont brandi leurs armes pour intimider les protestataires, montrant une fois de plus leur mépris total pour la population.
C’est une pratique bien ancrée, presque culturelle. Les cortèges en Haïti sont une autre forme d’abus de pouvoir. Une démonstration de mépris. De classe. De brutalité. Peu importe qu’un enfant traverse, qu’un vieillard titube, qu’une femme rentre du marché : les véhicules de l’État foncent, pressés, arrogants, hurlant leurs sirènes comme si la République allait exploser s’ils ne passaient pas.
La capitale est prise en otage par des groupes criminels surarmés. Des zones entières échappent au contrôle de l’État. La population meurt de faim, de peur, d’abandon. Et pourtant, ces incapables se déplacent comme des chefs de guerre en territoire conquis, klaxonnant sur un peuple qu’ils ne représentent plus. C’est là tout le niveau d’indécence atteint par ceux qui prétendent diriger ce pays. Pendant que le centre-ville est contrôlé par des gangs, pendant que les embouteillages s’éternisent à cause de l’occupation de zones stratégiques par des hommes armés, les autorités continuent de rouler comme si elles allaient sauver le pays.
Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Il s’agit d’un système. Un comportement généralisé, toléré à tous les niveaux. En Haïti, accéder au pouvoir, c’est hériter d’un cortège. Et avec lui, du droit de mépriser la vie des autres.
Mais cette fois, une jeune femme est morte. Et rien ne justifie ce silence. Aucun poste, aucune mission, aucune urgence ne vaut la vie de Medjernie. Rien.
Si ces dirigeants avaient un soupçon de conscience — même par hypocrisie — ils présenteraient officiellement leurs condoléances. Ne serait-ce qu’à cette famille condamnée à vivre désormais dans une douleur constante, traversée par le remords, mais aussi par une profonde frustration. Ils indemniseraient. Ils ordonneraient une enquête. Mais ils ne le feront pas. Parce qu’ici, le pouvoir n’a de compte à rendre à personne. Il écrase. Et il passe.
Alors, il faut le dire clairement : ces cortèges officiels sont une insulte roulante. Une humiliation quotidienne infligée à un peuple abandonné. Chaque sirène est une gifle. Chaque klaxon est un crachat. Et chaque mort, un cri de plus dans l’indifférence d’un État qui ne sert plus à rien.
Jusqu’à quand allons-nous tolérer cela ? Jusqu’à quand allons-nous compter nos morts pendant qu’eux comptent leurs véhicules ?
Le pays est peut-être sans loi, mais il n’est pas sans mémoire. Et tôt ou tard, il faudra rendre des comptes.
Si ces dirigeants, censés rétablir la sécurité, veulent réellement rouler en cortège officiel, ils doivent d’abord reprendre le contrôle des territoires occupés par des groupes armés, afin d’avoir assez de boulevard pour pavaner. Peut-être que ce vacarme incessant de sirènes et de klaxons est tout ce qu’il leur reste comme preuve de leur « autorité ». Mais ils ne doivent plus continuer à abandonner le peuple, à livrer des quartiers entiers aux hommes armés, pour ensuite écraser sans remords ceux qui n’ont aucun moyen de se défendre.
L’autorité ne se prouve pas en écrasant des vies, mais en protégeant les citoyens. Tant que ce pouvoir-là n’existera pas, les sirènes ne seront que les cris vides d’un État en déliquescence.