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« La mort d’un homme est une tragédie. La mort d’un million d’hommes est une statistique. »
— Joseph Staline

Il avait un sourire de gamin et des rêves d’adulte. Bathalien Guy Rurley, 23 ans, aîné de sa fratrie, venait tout juste d’intégrer la Police nationale d’Haïti. Fraîchement sorti de la 34ᵉ promotion, membre de l’UTAG, il portait l’uniforme avec une fierté rare. Originaire de Saint-Marc, zone Fleuranceau, il avait songé à poursuivre ses études à l’Université d’État, mais avait finalement choisi la voie la plus risquée : servir son pays, les armes à la main.

Le 11 août 2025, à bord d’un blindé déployé à Liancourt, il a pris une balle dans le cou lors d’un affrontement avec des gangs. Transporté d’urgence à Deschapelles, il est mort en salle d’opération. Premier policier tué sous le mandat du nouveau Directeur général Vladimir Paraison. Premier nom inscrit sur une liste qui, en Haïti, s’allonge comme un livre d’histoire écrit avec du sang.
Et puis… le silence.
Comme toujours.
Les morts ont des chiffres, pas de justice
Depuis l’assassinat de Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021, pas moins de 175 policiers ont été tués, selon les données du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) et de la presse haïtienne :
- 44 policiers entre juin 2021 et juin 2022
- 58 policiers entre juin 2022 et juin 2023
- 36 policiers entre juin 2023 et juin 2024
- 33 policiers entre juin 2024 et juin 2025, sans compter ceux tombés cet été
Ces morts ne sont pas des accidents. Elles surviennent lors d’embuscades soigneusement planifiées, d’attaques coordonnées contre des commissariats, dans les rues de Delmas, Liancourt, Carrefour ou Tabarre. En janvier 2023, six policiers ont été massacrés à Liancourt. En juin 2024, trois agents de l’UTAG ont été fauchés à Delmas 18. La semaine précédant la mort de Bathalien, trois autres sont tombés dans l’Artibonite.
Et pourtant, pas un seul procès. Pas un seul assassin de policier condamné depuis 2021. Le RNDDH le répète : « Les autorités haïtiennes se contentent de publier des notes de condamnation, mais aucune enquête sérieuse n’est menée. »
L’indifférence comme politique d’État
C’est là qu’on mesure toute la froideur de la phrase de Staline.
La mort d’un homme est une tragédie. Oui, quand la balle frappe un visage qu’on connaît : un frère, un fils, un ami. Quand on voit une mère s’effondrer sur le cercueil. Quand on entend un petit frère hurler à l’enterrement.
Mais quand ce sont 175 morts ? Quand, mois après mois, on annonce la chute d’un policier comme on annonce la météo ?
La mort d’un million d’hommes devient une statistique. Et en Haïti, nous avons transformé nos policiers en statistiques.
Les élites ? Elles s’indignent par communiqué.
Les autorités ? Elles promettent des enquêtes fantômes.
Les leaders d’opinion ? Ils débattent sur les réseaux sociaux entre deux selfies de cocktails.
Pendant ce temps, les cercueils défilent… et les gangs avancent.
Paraison : justice ou statistique ?
Vladimir Paraison vient à peine de prendre les commandes de la PNH. Le sang de Bathalien Guy Rurley est encore chaud. Alors, posons la question : aura-t-il le courage — et surtout la volonté — de rendre justice, ne serait-ce que pour un seul policier ?
Pas pour tous.
Pas pour cent soixante-quinze.
Pour un seul.
Pour Bathalien, qui croyait qu’entrer dans la police, c’était protéger la population. Pour ce jeune homme qui a troqué ses études universitaires contre un gilet pare-balles — et qui a découvert, trop tôt, que ce gilet ne protège pas du silence des élites.
Parce que si Paraison n’agit pas, si Bathalien rejoint la longue liste des tragédies transformées en statistiques, alors la vérité est brutale : en Haïti, la vie d’un policier ne vaut même pas une virgule dans un rapport officiel.
Et là, Staline se tromperait : ce ne serait plus une statistique. Ce serait une politique.
Deslande Aristilde
Vant Bèf Info (VBI)
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