Le 20 février 2025 restera une date douloureuse pour Haïti. Ce jour-là, Franckétienne, géant des lettres, maître du verbe et des couleurs, s’est éteint, laissant derrière lui un héritage culturel inestimable. Pour honorer la mémoire de cette figure emblématique, le gouvernement haïtien a annoncé, le dimanche 23 février, l’organisation de funérailles nationales. La cérémonie aura lieu le jeudi 27 février à l’église Saint-Pierre de Pétion-Ville, selon le secrétaire d’État à la Communication, Bendgy Tilias, qui a confirmé la nouvelle sur son compte X.
Un génie qui a transcendé les frontières
Né le 12 avril 1936 à Ravine Sèche, dans la commune de Saint-Marc, Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent, connu sous le nom de Franckétienne, était bien plus qu’un écrivain. Romancier, dramaturge, poète, musicien, peintre — il incarnait l’art sous toutes ses formes.
Créateur du mouvement spiraliste, il a fait de l’écriture une exploration du chaos, une quête incessante de sens à travers des formes libres et audacieuses.
En 1975, son chef-d’œuvre Dezafi est devenu le premier roman à succès écrit en créole haïtien, brisant les barrières linguistiques et imposant le créole comme langue littéraire à part entière. Bien que Ti Jak de Carrié Paultre l’ait précédé en 1965, Dezafi demeure l’œuvre qui a marqué l’histoire, grâce à son retentissement national et international. Traduit en français et en anglais, il a remporté le Best Translated Book Award en 2019.
En 2021, l’Académie française a décerné à Franckétienne le Grand Prix de la Francophonie pour l’ensemble de son œuvre, saluant son rôle dans la promotion des langues française et créole à travers le monde.
Un artiste engagé, une voix indomptable
Franckétienne n’était pas seulement un génie littéraire. Il était un homme engagé, un poète de la révolte. Sous la dictature des Duvalier, il a défié l’autorité avec sa pièce Pèlen Tèt, dénonçant l’oppression et donnant une voix aux sans-voix. Son courage et sa plume tranchante ont fait de lui une figure incontournable de la résistance culturelle haïtienne.
Son œuvre ne se limitait pas à l’esthétique ; elle était politique, sociale et profondément humaine. Chaque mot de Franckétienne vibrait de la souffrance et de l’espoir du peuple haïtien, témoignant de son amour indéfectible pour cette terre meurtrie, mais fière.
Une nation en deuil, un héritage vivant
En prélude aux funérailles nationales, une soirée hommage se tiendra le mercredi 26 février à l’hôtel Montana. Comme l’a rapporté Le Nouvelliste dans un article paru ce mardi 25 février, cet événement réunira les proches de Franckétienne ainsi que des figures du monde culturel et intellectuel pour célébrer une vie dédiée à l’art et à la liberté.
Les hommages affluent. La Primature, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et plusieurs ambassades, dont celles de la France et des États-Unis, ont salué la mémoire de ce monument de la culture haïtienne.
Franckétienne, éternel dans le cœur d’Haïti
Haïti ne produira plus jamais un autre Franckétienne. Il était une force de la nature, une étoile solitaire dont l’éclat dépasse les frontières. Mais sa mort n’efface pas son œuvre — elle l’amplifie.
Son nom reste gravé dans chaque page de Dezafi et Mûr à crever, dans les pièces Pèlen Tèt, Kalibofobo, Bobomasouri, et dans chaque coup de pinceau de ses toiles tourmentées.
En lui offrant ces funérailles nationales, Haïti ne fait pas que pleurer un artiste.
Elle immortalise un mythe.
Car Franckétienne n’est pas mort. Il vit dans l’âme du peuple haïtien. Et pour toujours, son verbe et son art résonneront dans le tumulte du temps.