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Haïti : quand la violence armée donne le signal politique

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Par Wandy Charles

Comme à chaque tournant crucial de la vie politique haïtienne, la violence a encore signé son retour. Brutale. Aveugle. Méthodique. En cette aube du 7 août 2025, censé être jour de passation de coordination à la tête du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), la capitale s’est réveillée dans le fracas d’armes automatiques, comme si un mot d’ordre secret avait été donné, comme si la transition devait obligatoirement s’inscrire sous la menace, dans le tumulte, dans la peur.

Des détonations à répétition ont retenti à Frères, Kenskoff, Delmas 19, Delmas 32, Delmas 33. Des zones encore perçues comme « non contrôlées » par les groupes armés. Les quartiers, jusqu’alors en sursis, ont été pris pour cibles dans ce qui s’apparente à une attaque coordonnée, chronométrée, presque chorégraphiée. À Delmas 32, des familles ont dû fuir, abandonnant en hâte maisons et souvenirs, pour échapper à la pluie de balles.

Comment ne pas s’interroger, encore une fois, sur le sens de cette simultanéité entre cette démonstration de force armée et une date institutionnelle stratégique ? La passation de coordination au sein du CPT, entre Fritz Alphonse Jean (Accord Montana) et Laurent Saint-Cyr (secteur privé), n’est pourtant qu’un acte de gouvernance qui était prévu, encadré, annoncé. Mais dans une République en lambeaux, chaque miette de pouvoir excite les convoitises, attise les rancunes et semble mériter le vacarme des armes.

Dans l’Haïti d’aujourd’hui, les armes ne s’égarent plus par hasard. Elles ciblent, elles menacent, elles indiquent. Elles sont devenues, à bien des égards, un langage politique parallèle, utilisé pour saboter, influencer, signaler. On tue pour faire comprendre. On tire pour se faire entendre. Et, souvent, on terrorise pour gouverner.

Derrière cette mécanique insoutenable, il y a des mains, des intérêts, des complicités. Il serait naïf, voire complice, de croire que ce climat d’insécurité permanente est sans ancrage politique. Depuis des années, la porosité entre les sphères du pouvoir et les gangs armés ne fait plus de doute. Des accusations d’instrumentalisation, d’alliances mafieuses, voire d’assassinats ciblés à des fins politiques, sont documentées. Des dossiers croupissent dans les tiroirs de la justice. D’autres circulent à bas bruit, dans les cercles diplomatiques et les forums d’experts.

Cette spirale de violence orchestrée autour d’une passation censée symboliser une transition politique pacifique, en dit long sur l’impasse démocratique dans laquelle le pays s’est enfermé. Les institutions sont en sursis, les processus sont fragiles, et ceux qui devraient garantir l’autorité publique sont, pour beaucoup, soupçonnés de pactiser avec l’ombre.

Le peuple, lui, est relégué au rôle de spectateur apeuré. Il n’est pas convié au changement, il le subit. Il ne choisit pas ses dirigeants, il les endure. Et pendant que les puissants s’affrontent par gangs interposés, les citoyens fuient leurs quartiers, enterrent leurs proches, ou tentent d’atteindre les frontières.

La passation entre Fritz Jean et Laurent Saint-Cyr aurait pu, dans un pays normal, signifier la continuité d’une action collégiale vers des élections, la réforme de la sécurité, ou la reconstruction de l’État. Mais au lieu de cela, elle s’est accompagnée d’un vacarme qui en dit long sur la nature réelle du pouvoir en Haïti : un pouvoir fébrile, souterrain, bâti sur la peur et les rapports de force.

Le Conseil Présidentiel de Transition, déjà miné par les rivalités internes et les lenteurs administratives, doit comprendre que chaque jour de flottement alimente les réseaux armés, affaiblit la gouvernance et détruit la confiance. Il ne suffit pas de tourner les chaises au sein du CPT. Il faut assumer une posture de rupture avec la culture de violence, de clientélisme et de manipulation armée.

Vant Bef Info (VBI)

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