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« J’aimerais mourir de vieillesse » : le cri inédit haïtien face à l’escalade de la violence

C’est une phrase simple, presque anodine ailleurs. Mais en Haïti, elle résonne aujourd’hui comme un cri de détresse, une confession douloureuse : « J’aimerais mourir de vieillesse. » Ces mots, prononcés par un habitant de Pétion-Ville après une nouvelle nuit marquée par des rafales d’armes automatiques, traduisent le désespoir collectif d’une population piégée entre la terreur des gangs et l’inaction des autorités.

Pétion-Ville, symbole d’un pays sous siège

Depuis plusieurs semaines, Pétion-Ville, commune pourtant considérée comme l’un des pôles économiques du pays, subit une montée en puissance des attaques armées. Des quartiers autrefois relativement épargnés, comme Morette, Diègue ou Girardo, sont désormais pris pour cibles par des groupes lourdement armés. Kidnappings, fusillades, pillages et incendies se succèdent, forçant de nombreuses familles à fuir dans la précipitation, abandonnant maisons et souvenirs.

Une insécurité généralisée

Ce drame ne se limite pas à Pétion-Ville. À Delmas (Delmas 30, 19), les scènes de violence sont quasi quotidiennes, avec des gangs qui font tout ce qu’ils peuvent imaginer. Les habitants de Carrefour ne sont pas épargnés non plus : ils vivent au rythme des enlèvements, des exécutions sommaires et des barricades dressées par les criminels. Plus haut, dans les montagnes de Kenscoff, la route qui mène à la commune, autrefois synonyme de fraîcheur et de sérénité, est devenue une zone de non-droit, où chaque passage peut se transformer en guet-apens meurtrier.

Vivre ou survivre ?

Dans ce climat d’insécurité omniprésente, la notion même de vieillir en paix semble irréaliste. Mourir de vieillesse, entouré de ses proches, dans la dignité, est devenu un luxe inaccessible pour une majorité d’Haïtiens. Désormais, la mort frappe partout, à tout âge, à n’importe quelle heure : en pleine rue, chez soi, dans un transport public ou même dans une église.

Les causes de décès reflètent la brutalité du quotidien : exécutions lors de kidnappings, balles perdues lors d’affrontements entre gangs et agents de l’ordre, meurtres pour refus de payer une rançon ou une taxe illégale. En Haïti, la mort naturelle semble presque anachronique.

L’impuissance de l’État

Face à cette descente aux enfers, les autorités haïtiennes brillent par leur silence ou se contentent de publier de timides communiqués de condamnation. Sur le terrain, les forces de l’ordre, sous-équipées et souvent dépassées, peinent à contenir l’avancée des groupes terroristes, qui continuent d’étendre leur influence. Certaines zones entières échappent désormais totalement au contrôle de l’État.

Le cri d’un peuple

Derrière cette phrase – « J’aimerais mourir de vieillesse » – se cache l’angoisse profonde d’un peuple qui se sent condamné à une mort violente. Ce cri, d’abord murmuré dans les rues de Pétion-Ville, s’est amplifié pour traverser Delmas, Martissant, Carrefour, Kenscoff et bien au-delà. Il exprime le besoin urgent de retrouver une existence normale, où la peur de mourir sous les balles ne hante plus chaque instant.

Plus qu’un simple souhait, cette phrase est aujourd’hui devenue un slogan de survie, une prière silencieuse adressée à un avenir incertain, dans un pays où le droit à la vie semble lui-même en sursis.

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