Le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé a provoqué un véritable bouleversement dans l’opinion publique en affirmant que le gouvernement était pleinement informé des préparatifs des groupes criminels en vue d’attaquer Kenskoff. Cette déclaration, loin d’être anodine, a été faite lors d’une conférence de presse tenue jeudi 30 janvier, à l’issue d’une rencontre au siège de la Direction générale de la Police nationale d’Haïti (DGPNH), à Clercine. Un aveu inattendu qui soulève des questions cruciales sur la réactivité et l’efficacité de l’État face à la crise sécuritaire qui ravage le pays.
Impuissance ou manipulation politique ?
« Les services de renseignement de la PNH, de la Primature, du ministère de la Justice et du ministère de l’Intérieur étaient au courant de l’attaque », a révélé Fils-Aimé. Mais c’est lorsqu’il s’est interrogé publiquement : « Pourquoi, malgré les avertissements, rien n’a été fait pour empêcher l’attaque ? » que la situation a pris une tournure inquiétante. Cette déclaration ouvre la porte à une interrogation plus profonde sur la gestion de la sécurité publique. L’État était-il impuissant, ou a-t-il délibérément choisi de ne pas intervenir ?
Les incohérences des autorités
Le contexte dans lequel cette déclaration a été faite est tout aussi significatif. Alors que le Premier ministre évoquait l’incapacité du gouvernement à prévenir l’attaque, il était entouré des principales figures du système de sécurité du pays : Patrick Pélissier, ministre de la Justice ; Paul Antoine Bien-Aimé, ministre de l’Intérieur ; Mario Andrésol, secrétaire d’État à la Sécurité publique ; et Rameau Normil, directeur général de la PNH. Cette situation paradoxale soulève une question essentielle : comment expliquer une telle incohérence entre ceux qui sont censés assurer la sécurité et un Premier ministre, chef du Conseil supérieur de la Police nationale (CSPN), qui semble n’avoir pris aucune mesure préventive ?
Une crise de leadership au sommet de l’État
Les propos de Fils-Aimé ont des répercussions politiques majeures. En soulignant que le gouvernement était informé de la menace sur Kenskoff, ville natale de Rameau Normil, le Premier ministre semble implicitement remettre en cause la gestion de la crise par le directeur général de la PNH. Cette déclaration prend une signification particulière dans un contexte où, en novembre 2024, des rumeurs faisaient état de la volonté du chef du gouvernement de remplacer Normil à la tête de la police. Bien que cette décision ait été rejetée par certains membres du CSPN, il est évident qu’une relation de collaboration existe entre le Premier ministre et le directeur général de la PNH. Mais cette collaboration est-elle réellement efficace ?
L’inaction de l’État : un drame pour la population
L’attaque contre Kenskoff, survenue le 27 janvier, aurait dû entraîner une réponse immédiate et coordonnée des autorités. Pourtant, malgré les avertissements, la violence a frappé avec une brutalité inouïe. Les gangs de la coalition terrorists « Viv ansanm » ont tué plus de 50 personnes et incendié près de 60 maisons, selon les autorités locales, laissant derrière eux un bilan humain catastrophique.
Des rumeurs circulaient déjà une semaine avant l’attaque, annonçant une offensive imminente. Certaines mesures préventives avaient été mises en place par les autorités communales, notamment un couvre-feu et la suspension d’événements culturels. Mais ces efforts se sont révélés insuffisants, la réponse des autorités locales étant bien trop faible pour éviter la tragédie.
Une réaction tardive : l’État toujours en retard
L’attaque de Kenskoff met en lumière un problème majeur : la lenteur et l’incapacité des autorités à agir avant que la violence n’éclate. Bien que les services de renseignement aient été parfaitement informés des intentions des criminels, aucune action concrète n’a été entreprise pour les stopper avant qu’ils ne passent à l’acte. Ce n’est qu’après le carnage que les autorités ont déployé des forces policières dans la commune. Une réponse qualifiée de « rapide », mais bien trop tardive pour sauver les vies perdues.
Kenskoff : un échec de plus ?
Depuis l’attaque, les autorités ont intensifié leurs efforts pour reprendre le contrôle de la zone, envoyant des unités spécialisées telles que le BOID, le SWAT, l’UTAG et le BLTS. La police a indiqué avoir éliminé une vingtaine de criminels lors d’une opération menée après l’attaque, sous la supervision du directeur général de la PNH. Cependant, la réalité sur le terrain est bien plus complexe : les gangs ont déjà pris le contrôle de plusieurs secteurs difficiles d’accès, rendant toute intervention policière extrêmement compliquée.
Depuis l’attaque, toutes les activités économiques et scolaires sont à l’arrêt. Plusieurs centaines de personnes ont fui leurs maisons pour se réfugier ailleurs, notamment sur la place Saint-Pierre à Pétion-Ville, aggravant ainsi la crise des déplacés internes.
Le discours du Premier ministre : un message qui sonne creux
Malgré cette situation critique, Alix Didier Fils-Aimé a réaffirmé l’engagement du gouvernement à soutenir la PNH et à faire de la sécurité une priorité. Cependant, ces déclarations semblent de plus en plus déconnectées de la réalité, face à l’ampleur de l’échec sécuritaire dans le pays. Les autorités continuent de réagir après les événements, laissant la population livrée à elle-même face à une violence incontrôlable.
L’aveu du Premier ministre Fils-Aimé ne fait que confirmer ce que de nombreux Haïtiens redoutent : l’État est soit impuissant, soit complice de la montée de l’insécurité. Cette situation alarmante met en évidence une crise de leadership et un dysfonctionnement profond du système de sécurité publique. Pendant que les autorités se rejettent la responsabilité, les populations, elles, continuent de payer le prix fort de cette inaction.