La nature a horreur du vide. Selon ce principe, tout espace vacant finit par être comblé, peu importe la manière. C’est exactement ce qui s’est produit avec le Conseil présidentiel de transition (CPT). Après la chute d’Ariel Henry, provoquée par les gangs en février 2024, le vide du pouvoir devait être rempli coûte que coûte. Notre « élite politique », avec l’aide de la CARICOM et sous la houlette des États-Unis, ont donc mis en place une structure inédite : un Conseil présidentiel à neuf têtes, une véritable chimère politique.
Un projet bricolé dans l’urgence
Jour et nuit, ces soi-disant grands esprits de la politique haïtienne se sont enfermés dans de longues discussions pour concocter un chef-d’œuvre institutionnel : un Conseil présidentiel à neuf têtes, une aberration politique sans précédent. Un monstre bureaucratique, né du compromis entre des clans qui, hier encore, se déchiraient.
Mais il fallait s’assurer que ces politiciens, experts en coups bas, ne se poignardent pas dès le premier désaccord. C’est ainsi qu’ils ont produit un document censé fixer les règles du jeu : l’Accord du 3 avril. Un accord où tout moun ladan, même les ennemis d’hier, se sont retrouvés unis par l’attrait du pouvoir. PHTK et Lavalas, autrefois adversaires jurés, ont mis de côté leurs différences dans ce qui ressemble plus à un pacte de survie politique qu’à un véritable plan de sauvetage national.
Un pays à feu et à sang
Pendant que ces politiciens faisaient leurs petits arrangements, la capitale était livrée aux flammes et au sang. Le 29 février 2024, la coalition criminelle Viv ansanm a déclenché une vague de terreur sans précédent : aéroport pris en otage, écoles, universités et églises attaquées, hôpitaux et prisons détruits, la presse ainsi que des institutions publiques et privées saccagées. Même le Palais national a fait l’objet d’attaques coordonnées. L’existence humaine elle-même était devenue une cible.
C’est dans ce chaos que le CPT a été officiellement mis en place le 12 avril 2024, dans l’indifférence totale de la population. À peine installés, ces neuf conseillers ont fui le Palais national, incapables d’assurer leur propre sécurité. Comment pouvaient-ils garantir celle du pays ?
Des missions irréalisables
L’accord du 3 avril leur avait pourtant fixé deux missions principales :
1. Rétablir la sécurité.
2. Organiser des élections à la fin de 2025 pour remettre le pouvoir aux élus en février 2026.
Mais la population, elle, ne rêve même plus d’élections. Elle veut simplement la sécurité pour vaquer librement à ses activités.
Une descente aux enfers accélérée
Depuis l’installation du CPT, la situation sécuritaire n’a cessé de se détériorer. Malgré l’arrivée de la force multinationale en juin 2024, les gangs ont continué leur progression à un rythme effrayant. Les communes de Carrefour, Gressier, Cabaret, Ganthier et Kenscoff sont tombées une à une. Dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, Solino, Nazon, Carrefour-Feuilles, une grande partie de Delmas, l’avenue Christophe et une portion de Turgeau sont désormais sous contrôle des gangs.
Fuite des institutions et agonie de la capitale
Sous l’ère du CPT, les gangs sont devenus plus ambitieux et arrogants. Ils veulent même prendre en otage la presse, dernier rempart de la société dans sa noble mission de dénonciation. Récemment, au moins trois médias ont été attaqués par ces groupes criminels.
Face à cette triste réalité, même les institutions publiques, jadis piliers de l’État haïtien, sont contraintes de fuir la capitale. Ministères, directions générales, et même certains tribunaux n’ont d’autre choix que de se réfugier à Pétion-Ville ou dans les zones plus sécurisées de Delmas. Des milliers de fonctionnaires, jadis acteurs d’un service public, sont aujourd’hui exilés à la recherche de la moindre parcelle de sécurité. Ce n’est plus seulement une crise, c’est un effondrement total du système administratif.
Un bilan catastrophique
L’ONU dresse un bilan alarmant :
• 5 601 personnes tuées en 2024, soit 1 000 de plus qu’en 2023.
• Plus d’un million de déplacés en 2024, un chiffre presque doublé en un an.
• Une crise humanitaire sans précédent, avec la moitié de la population en insécurité alimentaire.
Et que fait le CPT ? Rien.
Un Conseil budgétivore, mais incompétent
Les neuf conseillers du CPT jouissent de tous les privilèges d’un président. Chacun dispose de son propre cabinet, composé d’au moins 11 experts. Un luxe coûteux : selon des informations révélées par Radio Télé Métropole le 11 mai 2024, l’État devra débourser 260 millions de gourdes pour financer ces cabinets sur deux ans.
Mais pour quels résultats ? Ils ne font que publier des notes de condamnation après chaque massacre commis par les gangs.
En juillet 2024, un scandale de corruption éclate : Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire sont accusés d’avoir extorqué 100 millions de gourdes au directeur de la Banque nationale de crédit (BNC) pour le maintenir en poste.
Des fonds destinés au renseignement auraient également été détournés par les membres du CPT. Aucune réaction officielle. Mais qui ne dit mot consent.
Un CPT fort pour le partage du gâteau, mais faible pour gouverner
S’il y a bien une seule chose sur laquelle ces politiciens s’accordent, c’est la gestion de leurs propres intérêts. En mai 2024, ils trouvent facilement un consensus pour nommer Garry Conille Premier ministre, avant de l’évincer brutalement en novembre. Peu après, ils s’entendent pour placer Alix Didier Fils-Aimé, un homme d’affaires sans expérience politique, à la tête du gouvernement.
Vers l’effondrement total de l’État
Le CPT s’apprête à célébrer un an au pouvoir. Son bilan ? Un échec total. Ils disposent de plus de moyens que leurs prédécesseurs :
• Une force multinationale,
• Plus de soutien international,
• Plusieurs présidents pour gouverner,
• Des forces de l’ordre mieux équipées.
Et pourtant, rien n’a changé. Aujourd’hui, plus de 80 % de Port-au-Prince est contrôlé par les gangs, selon l’ONU.
Comme nous l’avons dit au début, la nature a horreur du vide. Haïti a ses pires dirigeants au pire moment de son histoire.