Haïti traverse une crise d’une ampleur inédite, marquée par une instabilité politique chronique, une insécurité galopante et une détérioration alarmante des conditions économiques. Cette situation, exacerbée par la montée en puissance des gangs armés et les déplacements forcés de population, a favorisé la prolifération de la traite des personnes et du trafic de migrants. Un récent rapport des Nations unies met en lumière l’ampleur de ce phénomène et ses conséquences dramatiques sur les populations les plus vulnérables.
L’un des aspects les plus préoccupants de cette crise est l’augmentation du recrutement d’enfants par les groupes criminels. Selon l’UNICEF, en 2024, le nombre d’enfants enrôlés dans les gangs haïtiens a bondi de 70 %, représentant désormais entre 30 % et 50 % des effectifs de ces organisations. Cette tendance alarmante s’explique par l’extrême précarité qui pousse de nombreux jeunes, privés d’accès à l’éducation et de soutien familial, à tomber sous l’emprise des gangs.
Des méthodes de recrutement variées et de plus en plus agressives
Les techniques de recrutement sont diverses : certains enfants sont séduits par des promesses illusoires de sécurité et de gains financiers, tandis que d’autres sont enrôlés de force, sous la menace de violences. Les gangs utilisent également les réseaux sociaux pour attirer ces jeunes recrues, leur proposant jusqu’à 200 dollars pour s’engager dans des activités criminelles.
Une exploitation genrée et systématique
Le rapport onusien met également en évidence une exploitation différenciée selon le genre. Les garçons sont généralement recrutés pour des missions à haut risque, telles que le transport d’armes, l’espionnage ou les affrontements armés. Certains sont même contraints de commettre des assassinats sur ordre des chefs de gang. Les filles, quant à elles, subissent des formes spécifiques de violence, allant de l’exploitation sexuelle aux mariages forcés, en passant par l’asservissement domestique.
Des organisations locales, comme l’Oganizasyon Fanm Vanyan Aksyon, tentent d’apporter un soutien aux jeunes victimes. Cependant, face à l’impunité persistante et à la faiblesse des institutions de protection, ces efforts restent largement insuffisants.
L’impact des politiques migratoires régionales
Le durcissement des politiques migratoires dans la région aggrave également la situation des migrants haïtiens. La fermeture de l’espace aérien entre Haïti et la République dominicaine, combinée à l’insécurité croissante autour de l’aéroport international de Port-au-Prince, oblige de nombreux migrants à emprunter des itinéraires clandestins, particulièrement dangereux.
Historiquement, les Haïtiens tentaient de rejoindre la Colombie par voie aérienne ou maritime avant de traverser la jungle du Darién pour atteindre l’Amérique centrale. Toutefois, en 2024, le renforcement des contrôles migratoires a réduit ce flux de 71 %, forçant les migrants à opter pour des routes encore plus périlleuses, souvent sous la coupe de passeurs.
Ces passeurs exploitent la vulnérabilité des migrants, leur proposant des traversées risquées via les Bahamas, la Jamaïque ou encore les Îles Turques-et-Caïques. Les conséquences sont dramatiques : en septembre et octobre 2024, plus d’une centaine de migrants haïtiens ont été abandonnés en pleine mer, près de Porto Rico, illustrant la dangerosité de ces parcours clandestins.
L’intensification des expulsions et la précarisation des migrants
Face à cette crise migratoire, plusieurs pays de la région, dont la République dominicaine et les États-Unis, ont durci leurs politiques d’expulsion. En octobre 2024, plus de 30 000 Haïtiens ont été expulsés. Le gouvernement dominicain prévoit même d’expulser jusqu’à 10 000 migrants par semaine, soit un total de 520 000 expulsions sur une année.
Ces expulsions massives ne font qu’aggraver la précarité des migrants, les exposant davantage aux réseaux criminels et aux passeurs. L’ONU alerte sur les risques accrus d’exploitation qui en découlent et souligne l’urgence de mettre en place des solutions humanitaires durables pour protéger ces populations vulnérables.
Le narcotrafic, un facteur aggravant
En parallèle, le trafic de drogue continue de jouer un rôle central dans l’instabilité du pays. Historiquement lié aux réseaux colombiens des années 1980 et 1990, ce commerce illicite est aujourd’hui contrôlé par un cercle restreint d’individus influents, incluant d’anciens militaires, des parlementaires et des hommes d’affaires opérant entre Haïti et les États-Unis.
Certaines figures du narcotrafic, après avoir été arrêtées et condamnées, ont réussi à réintégrer la sphère politique, assurant ainsi la continuité de ces activités criminelles. Malgré les efforts sporadiques des autorités, les liens entre narcotrafic et gangs armés restent solides, alimentant la spirale de violence qui gangrène le pays.
Une crise humanitaire et sécuritaire qui s’aggrave
L’ampleur de la traite des personnes, du trafic de migrants et du narcotrafic en Haïti illustre la profondeur de la crise actuelle. L’absence de gouvernance, la dégradation économique et l’impunité généralisée créent un terrain fertile pour les abus et l’exploitation des populations les plus vulnérables.
Selon l’ONU, il est urgent d’apporter une réponse humanitaire adaptée et de renforcer les institutions de protection pour enrayer cette dynamique infernale, qui menace non seulement l’avenir d’Haïti, mais aussi la stabilité de toute la région.