Ankèt

María Isabel Salvador quitte Haïti, sans tambours ni résultats

C’est sur une note chaleureuse et lyrique que María Isabel Salvador, cheffe sortante du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH), a tiré sa révérence. Dans un message publié le 30 juin 2025 sur le réseau social X, la diplomate équatorienne a fait ses adieux à un pays qu’elle dit avoir été « profondément touchée par la chaleur de ses habitants » et « leur courage à avancer malgré les défis ». À lire ces mots, on pourrait croire qu’elle quitte une terre de poésie, et non un pays étranglé par la violence, l’instabilité et l’inaction diplomatique.

Nommée en mars 2023 par António Guterres, la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU n’aura passé que deux petites années en poste. Un mandat bref, mais visiblement suffisant pour prononcer de vibrants hommages — bien que les résultats concrets de sa mission restent, pour beaucoup, une énigme. Elle évoque avec émotion les sourires, les critiques constructives et « la force identitaire du peuple haïtien » : une façon élégante de contourner l’échec cuisant de la communauté internationale à améliorer les conditions de vie des Haïtiens.

Dans son message, María Isabel Salvador appelle les Haïtiens à ne pas perdre espoir et à « rêver collectivement d’un pays plus juste, plus équitable, plus solidaire et plus paisible ». Ce rêve, elle le présente comme une utopie noble mais à la portée du peuple : « Cette construction n’appartient qu’à vous. » En d’autres termes, après deux ans d’observation bienveillante, le problème est désormais entre vos mains. Le message est clair : les Nations unies restent à vos côtés, mais c’est à vous de vous débrouiller.

Elle réaffirme d’ailleurs l’« engagement persistant » des Nations unies pour aider Haïti à surmonter ses obstacles. Une promesse que l’on retrouve dans presque toutes les déclarations officielles onusiennes depuis trois décennies, et qui semble désormais tenir du mantra rituel plus que d’un plan d’action tangible. Ironiquement, cette déclaration survient alors que la population ne cesse de perdre foi dans la fameuse « solidarité internationale ».

Il faut se rappeler qu’à son arrivée, Mme Salvador promettait d’écouter les Haïtiens et de favoriser un consensus national pour restaurer la démocratie. Pourtant, cette écoute n’a pas empêché la montée en puissance des groupes armés, la paralysie institutionnelle et une crise humanitaire sans précédent. Quant au consensus national, il reste aussi insaisissable que le plan de sécurité tant attendu que l’ONU n’a jamais vraiment su faire aboutir.

Avec plus de 25 ans d’expérience diplomatique, María Isabel Salvador affichait un CV impressionnant : ancienne ministre des Affaires étrangères de l’Équateur, représentante à l’OEA, cadre chez Air France… Mais même les références les plus prestigieuses ne garantissent pas l’efficacité sur le terrain haïtien. Son mandat s’est surtout illustré par des déclarations polies et un sourire constant, immortalisé dans sa première photo officielle aux côtés d’António Guterres. Une diplomatie bienveillante, certes, mais étrangement sourde au chaos.

Dans son message d’adieu, elle conclut en disant partir « avec le cœur rempli de respect et d’affection pour ce pays magnifique », remerciant les Haïtiens pour « tout ce qu’ils lui ont appris ». Mais nombreux sont ceux qui, sur les réseaux sociaux, se demandent plutôt ce qu’elle, en retour, aura laissé. Entre les lignes, on sent poindre une certaine résignation diplomatique. Comme si ce mandat n’avait été qu’un passage obligé, sans grande illusion sur ses effets.

Ainsi s’achève l’épisode Salvador, un chapitre de plus dans la longue chronique des promesses internationales faites à Haïti — avec beaucoup d’émotion, de mots, et bien peu de résultats. Le peuple haïtien, lui, reste là, courageux, digne, et toujours en attente de cette solidarité qui, à force d’être proclamée sans actes, finit par se confondre avec l’indifférence.

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