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l’Ambassadrice Myrtha Désulmé tire la sonnette d’alarme devant le Groupe des amis d’Haïti à l’OEA. Dans un discours empreint de gravité et de lucidité, la représentante permanente d’Haïti a dressé un tableau saisissant de la situation actuelle, appelant à une solidarité concrète, rapide et audacieuse. Elle insiste : sans sécurité, pas de transition, pas d’élections, pas d’avenir.

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PROPOS DE CIRCONSTANCE DE L’AMBASSADEURE MYRTHA DÉSULMÉ REPRÉSENTANTE PERMANENTE D’HAÏTI AUPRÈS DE L’OEA
RÉUNION DU GROUPE DES AMIS D’HAÏTI (GOFH) SALON DES AMÉRIQUES SIÈGE DE L’OEA, MARDI 29 JUILLET 2025
Monsieur le Secrétaire Général,
Madame la Secrétaire Générale Adjointe,
Mesdames, Messieurs les représentants des états membres,
Mesdames, Messieurs les représentants des pays observateurs,
Mesdames. Messieurs les représentants des institutions internationales,
Excellences, chers Collègues
Bienvenus à tous ceux qui nous accompagnent aujourd’hui
Il y a deux mois, la Mission Permanente d’Haïti et le SecrétariatGénéral de l’OEA, avaient convié nombre d’entre vous à un symposium pour discuter du thème : Finding Urgent Solutions for the Haïti Security Crisis. A cette occasion un membre du Conseil Présidentiel de Transition, accompagné du ministre de la Justice et de la Sécurité Publique et de celui de la Défense, avaient fait le déplacement pour bien signifier l’urgence de la situation dramatique que connait Haïti et la confiance qu’ils ont dans la capacité des états membres et des pays observateurs à faire preuve de solidarité envers le peuple haïtien qui vit l’une des périodes les plus sombres de son histoire.
Il y a un mois à Saint John’s, Antigua et Barbuda, l’Assemblée Générale de l’Organisation des États Américains, a adopté à l’unanimité la Résolution AG//Res 3039, intitulée : Appel à la Mise en Oeuvre Urgente de Solutions Concrètes pour Résoudre la Grave Crise institutionnelle et Sécuritaire en Haïti. Cette résolution confie à l’OEA le mandat de jouer un rôle plus important dans les domaines de la sécurité multidimensionnelle, de l’assistance humanitaire, de la construction de consensus politique, et de l’organisation d’élections libres et justes.
Je tiens à remercier, le Secrétaire général Albert Ramdin qui a pris ce mandat à cœur en mettant ses équipes au travail en vue d’élaborer un avant-projet de plan d’action récemment soumis au gouvernement haïtien, qui doit dans les prochains jours y intégrer sa vision, ses priorités et ses attentes.
Il est à rappeler que selon la résolution, ce travail doit se faire en consultation avec le gouvernement haïtien, et d’autres partenaires. Nous sommes encore dans le délai imparti de 45 jours. La partie haïtienne dont le rôle est central dans cette démarche, veillera à ce que les approches retenues et les objectifs fixés dans ce plan soient alignés avec ses priorités.
Le Secrétaire général, lors de sa prise de fonction, avait déclaré que le dossier d’Haïti figure en tête de liste de ses priorités. Il démontre maintenant qu’il a bien l’intention de passer de la parole aux actes. Je salue son initiative annoncée qu’il concrétise aujourd‘hui en réunissant le Groupe des Amis d’Haïtiqui compte en son sein des pays frères, mais également des institutions politiques et financières régionales et internationales dont la contribution demeure essentielle pour la pacification et la reconstruction d’Haïti.
Depuis le symposium et l’Assemblée Générale, la situation en Haïti s’est encore aggravée, ce en dépit des efforts du gouvernement et des forces de sécurité haïtiennes : La Police Nationale d’Haïti et les Forces Armées d’Haïti, appuyées par la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (la MMAS).
Le gouvernement haïtien insiste pour dire aux amis d’Haïti quela restauration de la sécurité et de l’autorité de l’état sur tout le territoire, demeure une condition sine qua non pour la mise en œuvre d’un quelconque plan en faveur d’Haïti. Il nous faut aborder ces sujets sans complaisance et sans faux semblant. Il est indispensable que les pays et les institutions que vous représentez, prennent toute la mesure de la complexité, de la gravité et de l’urgence de la situation qui demande des actions rapides.
Cela fait déjà quatre ans depuis l’assassinat odieux du président de la république, Jovenel Moïse. Depuis, la situation n’a pas cessé de se dégrader, en dépit des actions des forces de l’ordre. Les gangs contrôlent 90% de la capitale. Les pouvoirs publics ont dû fuir les bâtiments publics du centre-ville, parce qu’il était devenu trop dangereux d’exposer les fonctionnaires aux assauts des bandits. Aujourd’hui, les gangs étendent leur emprise sur les départements de l’Artibonite et du Centre. Il faut se rendre à l’évidence que les forces de sécurité haïtiennes, dont les agents sont en nombre insuffisant, même avec le soutien d’une MMAS sous-équipée et manquant d’effectifs, n’arriveront pas à freiner leur avance.
Je vous fais grâce d’une description détaillée des horreurs qui sont commises par les gangs : plus de 5,600 meurtres en 2024 ;viols publics de femmes, de fillettes et de jeunes garçons ;enlèvements contre rançon ; coupure des principaux axes routiers, fermeture depuis plus d’un an du principal aéroport international de la capitale que ne fréquentent plus les lignes commerciales, perturbation extrême de l’économie ; hôpitaux, écoles, universités, musées, vandalisés ou incendiés.
Les conséquences de ces actes criminels sont catastrophiques : plus 1,3 millions de personnes déplacées internes vivant dans des camps de fortune insalubres ; 5.7 millions de personnes en insécurité alimentaire chronique, et un pourcentage important de ces victimes sont des enfants ; une inflation galopante ; une économie en récession depuis 6 ans ; un chômage aggravé ; une migration massive difficilement contrôlable ; trafic en tous genres, d’armes, de drogue, d’êtres humains, et même d’organes. J’arrête là cette énumération macabre, et j’espère qu’elle vous aura permis de comprendre que cette situation ne peut plus durer. J’ajouterai seulement que c’est malheureusement dans cet environnement caractérisé par la violence aveugle et généralisée, par la famine et le désespoir, dans cette souffrance inimaginable, parmi des millions de sans-abris qui vivent dans la rue au milieu de cet abime sans fond, qu’Haïti est obligée d’accueillir des centaines de milliers de ses ressortissants systématiquement déportés, expulsés par les pays amis d’Haïti.
Si rien n’est fait pour stopper cette descente aux enfers, le pire est à craindre. Le gouvernement a le mandat impératif de rétablir un environnement sécuritaire acceptable et de tout mettre en œuvre pour organiser des élections libres et transparentes en vue de transmettre le pouvoir à des élus au plus tard le 7 février 2026. Le Conseil Présidentiel de Transition et le gouvernement souhaitent respecter ce délai au-delà duquel nous risquons de nous retrouver avec un vacuum à la tête de l’état, avec tous les risques que cela comporte.
Le gouvernement et le peuple haïtien attendent avec impatience, les initiatives que l’OEA arrivera à mettre en œuvre, afin de neutraliser les gangs armés, car cela constitue un prérequis pour la réussite de la transition politique et le développement socio-économique du pays. Sans le rétablissement de la sécurité, il ne peut pas y avoir de bonnes élections. Sans le rétablissement de la sécurité, il sera extrêmement difficile de distribuer l’aide humanitaire à ceux qui en ont le plus besoin sans se faire racketter, enlever ou même tuer par les gangs. Sans le rétablissement de la sécurité il n’y aura ni investissements, ni relance de l’économie, ni création d’emplois durables.
Le soutien robuste qu’Haïti attend demandera plus que les quelques centaines de membres sous-équipés de la MMAS. La solidarité doit se manifester de manière plus concrète et plus efficace dans ce domaine. Je sais que l’OEA en tant qu’institution n’a pas les moyens militaires et financiers de gérer le problème. Nous comptons beaucoup sur ceux de nos pays frères qui en ont la capacité et les moyens de s’impliquer davantage en contribuant à la MMAS et au renforcement des capacités des forces de sécurité haïtiennes. Vous devez vous engager aujourd’hui aux côtés d’Haïti, car demain il sera trop tard. Plus nous attendons, plus ce sera difficile, et plus ce sera coûteux.
A cause de l’embargo instauré contre Haïti par les Nations Unies et le Leahy Law depuis 31 ans, les forces de l’ordre haïtiennes sont obligées de se battre avec les mains attachées derrière leur dos contre des bandits féroces qui eux ont accès à une source intarissable d’armes de guerre provenant des mafias du crime organisé international. Les restrictions strictes de cet embargo alourdissent le processus pour obtenir des armes légales, ce qui handicape la police ainsi que la remobilisation des Forces Armées d’Haïti.
Haïti est reconnaissante pour le support international fourni par les pays qui forment des contingents des forces de l’ordre pour notre pays, mais il faut que cette formation soit adaptée aux besoins d’Haïti. Pour sortir de manière définitive du carcan dans lequel elle se trouve, l’aide qu’Haïti reçoit doit cadrer avec sa réalité. Haïti a besoin pas seulement de formations de base de courte durée, qui la maintiennent dans la dépendance, mais de formations spécialisées et avancées d’une masse critique de formateurs qui pourront à leur tour former des agents sur le terrain pour le développement institutionnel et la structuration de l’appareil sécuritaire de l’état, qui inclut la police, les forces armées, et les agents de l’immigration. Nous avons besoin de formations anti-guérillas spécialisées adaptées à la crise sécuritaire que subit Haïti.
Haïti doit aussi pouvoir équiper adéquatement les forces de l’ordre avec des scanners, et des équipement modernes pour être plus performante dans la surveillance et le contrôle des douanes par lesquelles les armes illégales envahissent le pays. Il nous faut aussi du personnel qualifié, des mécaniciens et des techniciens formés pour maintenir et réparer ces équipementssophistiqués.
Nous savons que l’acquisition de ces équipements, et une augmentation significative des moyens de la MMAS impliquentdes coûts importants qu’Haïti n’a pas aujourd’hui la capacité financière de supporter. Mais sans des actions décisives, audacieuse, urgentes et résolues, cela prendra des années pour atteindre la masse critique nécessaire pour neutraliser les gangs et maintenir les positions. Nous n’avons pas ce temps. Nous comptons sur l’OEA et ses initiatives pour convaincre les uns et les autres d’appuyer concrètement et urgemment la présente démarche.
Pour résoudre durablement la crise multidimensionnelle que traverse Haïti, il faudra faire plus que rétablir la sécurité et distribuer massivement de l’aide humanitaire. Il faut une approche holistique qui prenne en compte les causes profondesde cette crise qui sont la misère et le désœuvrement, et l’absence de perspectives d’avenir qui ont poussé les jeunes et les enfants dans les bras des gangs armés, et en font des proies faciles pour les recruteurs.
Nous avons besoin d’un plan de relance économique et de développement durable. Cela suppose de sortir des sentiers battus et de l’approche traditionnelle de l’aide humanitaire, et d’accepter d’innover en investissant massivement, entre autres, dans la production et l’autonomisation économique des haïtiennes et des haïtiens.
Haïti a reçu de l’aide pendant des dizaines d’années et elle est toujours dans la misère et la dépendance extrêmes. Il nous faut questionner les raisons de cet échec et choisir de faire autrement.Il nous faut, en d’autres termes, changer le paradigme de développement. Nous pouvons transformer cette profonde crise en une opportunité pour promouvoir le modèle de développement qui correspond aux véritables besoins de développement d’Haïti et sortir le pays, une fois pour toutes, des crises récurrentes.
Comme tout le monde le répète, la solution durable doit venir des Haïtiens eux-mêmes qui doivent prendre leur destin en main et assurer le leadership de toute action à entreprendre par la communauté internationale. Nous entendons travailler avec le secrétariat général de l’OEA et avec tous les partenaires et tous les pays frères pour finaliser le Plan d’Action.
Chers Amis d’Haïti,
Pour terminer, j’utiliserai cette tribune aujourd’hui pour lancer un appel vibrant à la solidarité, en mémoire de Simon Bolivar et de Miranda, qui ont à un moment crucial de leur lutte pour la libération de l’Amérique Latine du joug colonial, bénéficié de la solidarité de la jeune République d’Haïti, sans laquelle ces héros vénérés n’auraient pas pu libérer le continent latino-américain.Sans compter que les Haïtiens ont aussi participé à la Guerre d’Indépendance des Etats-Unis.
Haïti est plus petite que beaucoup de villes dans le monde. Tous les pays et tous les organismes internationaux se trouvent sur le terrain. Avec une vraie volonté politique, nous pouvons venir àbout de ce cauchemar sans fin pour le peuple Haïtien. C’est la façon dont, avec votre accompagnement, Haïti sortira de cette crise, qui déterminera si dans dix ans ou dans vingt ans, nous n’aurons pas à refaire les mêmes discours et à solliciter les mêmes soutiens.
Je vous remercie.
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