Cela aurait pu arriver à n’importe qui, vivant dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Une balle, tirée par on ne sait qui, a fauché une vie, brisé une famille et privé Haïti de l’un de ses espoirs. Lebelt Massenat, qui rêvait de devenir diplomate, a été abattu de façon inattendue à Bourdon, victime d’un projectile perdu ou d’un tir intentionnel.
Mardi 12 février, alors que certains quartiers de Port-au-Prince tentaient encore de conserver une apparence de normalité – Lalue, Bois-Verna, Canapé-Vert –, d’autres continuaient d’être le théâtre d’un chaos incessant – Solino, Nazon, Poste-Marchand –, où la mort rôde, rythmée par le crépitement des armes automatiques.
C’est dans cette atmosphère apocalyptique que Lebelt, 24 ans, s’est armé de courage pour se rendre à son université, située à Bourdon. Il savait les dangers, mais il a choisi de ne pas se laisser intimider. Parce qu’il voulait apprendre. Parce qu’il voulait avancer. Parce qu’il croyait en l’avenir.
Il était environ 10 heures du matin lorsque ses camarades ont entendu un bruit étrange dans la salle de cours. Une balle.
Un intrus invisible qui, en une fraction de seconde, a décidé du destin de Lebelt. Tandis que ses camarades se jetaient au sol ou tentaient de fuir, lui est resté cloué sur sa chaise, ensanglanté. Il ne rentrera plus chez lui. Sa famille ne reverra plus son sourire. Ses amis garderont à jamais le souvenir de ce mardi 12 février, devenu un jour de deuil.
Ce drame rappelle combien il est devenu périlleux d’oser vivre en Haïti, comme l’écrivait Jessica Nazaire dans son poème sur ce pays aux paupières lourdes, fermé aux humains. Nous sommes devenus des ombres provisoires, marchant entre la vie et la mort sans en connaître l’issue.
On se souvient encore de Tchadensky Jean-Baptiste, tué d’une balle perdue au Champ de Mars, de Grégory Saint-Hilaire, assassiné au sein de l’École Normale Supérieure, alors qu’il réclamait la nomination des étudiants finissants dans la fonction publique. On se souvient aussi de Monferrier Dorval, professeur de droit, et de Patrick Dorénoncourt, militant et travailleur social, tous deux exécutés pour avoir osé parler, dénoncer, rêver.
Aujourd’hui, Lebelt vient tristement allonger cette liste de victimes, ces jeunes qui refusaient de plier devant la terreur et qui, pourtant, n’ont pas survécu à leur bravoure.
Dans ce pays où des centaines de jeunes de son âge sont enrôlés dans des gangs pour semer la peur et la mort, Lebelt avait choisi un autre chemin : celui du savoir. Il voulait grandir, apprendre, bâtir un avenir.
Mais Haïti, ce pays qui se gave de chair humaine, ne l’a pas laissé faire. Parce qu’il a osé vivre, rêver, espérer, il a été arraché à la vie.