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Par Wandy CHARLES
Jadis coquette, fière de ses hauteurs résidentielles et de ses avenues aérées, la commune de Pétion-Ville est aujourd’hui méconnaissable. Là où s’étendaient autrefois des trottoirs propres, des jardins urbains et des rues praticables, s’amoncellent aujourd’hui des montagnes de détritus, de flaques d’eau croupissante et d’odeurs nauséabondes qui montent à la gorge. Ce qui fut, dans les années 80-90, un modèle d’élégance urbaine en Haïti, se donne désormais à voir comme un immense marché public à ciel ouvert, abandonné à lui-même.
Pétion-Ville, août 2025. – « C’est une honte nationale ! Ceux qui ont connu Pétion-Ville dans sa splendeur tomberaient des nues s’ils revenaient aujourd’hui », lâche, la gorge serrée, Michel un ancien résident revenu après quinze ans d’absence. La voirie municipale, censée garantir un minimum de salubrité, semble avoir disparu. Les bennes à ordures ne passent plus, ou si rarement que la population a développé ses propres mécanismes de survie : brûler les déchets. Sur le bord des routes, les colonnes de fumée noire remplacent l’air frais qu’on pouvait respirer jadis.
« Nous les brûlons chaque semaine. Sinon, les rats, les moustiques, tout cela envahirait nos maisons. Mais maintenant, les enfants toussent, ont des irritations, même de la diarrhée », déplore Monique, marchande au marché La Coupe. Le prix sanitaire de cette méthode est lourd. Des résidents souffrent de toux chroniques, d’irritations cutanées, et les plus vulnérables dont les enfants et vieillards paient le prix fort de cette pollution par incinération sauvage. Aucun plan sanitaire d’urgence n’a été annoncé par la mairie, malgré l’ampleur du fléau.
« Pétion-Ville est asphyxiée, et personne ne semble s’en soucier », grince Jerry, pharmacien établi à la rue Panaméricaine. Dans plusieurs zones de la commune, la cohabitation entre déchets et population est devenue la norme. À l’emplacement de l’ancien cimetière, c’est une décharge à ciel ouvert ; le long du marché La Coupe, les montagnes d’immondices côtoient les étals de fruits, de viande, de poissons exposés aux mouches et aux effluves. Dans les parages des marchés Kokoye et Télélé, à Frères, les trottoirs sont invisibles, remplacés par des marres d’eaux stagnantes, de sacs plastiques éventrés et de carcasses en décomposition.
Partout, la boue noire, résultat de la pluie, des égouts bouchés et des restes de marchandises pourries, transforme les rues en marécages urbains. Chaque pas devient une épreuve. La commune entière sent la défaite, comme si les autorités avaient levé les bras depuis longtemps.
« Se pa vil ankò, se fatra ! Moun ap viv sou dechè, ap vann sou dechè, ap manje sou dechè », lance un chauffeur de tap-tap qui fait la navette entre Frères et Petion-Ville.
À la mairie, c’est silence radio. Aucune gêne, aucun plan, aucun mot. Les agents municipaux brillent par leur absence, et les habitants, abandonnés, se débrouillent comme ils peuvent. Les plaintes des citoyens n’ébranlent ni le Conseil municipal ni les responsables des services d’assainissement. La commune semble avoir perdu jusqu’à son orgueil.
« Pétion-Ville, c’était un repère. Aujourd’hui, c’est une ruine sociale et environnementale », résume avec amertume une enseignante du quartier Jacquet.
Le cœur de Pétion-Ville bat encore, mais c’est un battement sale, étouffé, malodorant. Ce qui s’y joue va bien au-delà de l’hygiène : c’est une tragédie civique, où l’absence d’État côtoie la résignation populaire. La capitale économique et sociale du pays, abandonnée à la puanteur, incarne tristement le naufrage urbain haïtien.
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