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Quand le MENFP fabrique l’indignation : trois policiers, un ministre amnésique et un enseignant invisible

Il fallait le lire pour le croire. Dans un communiqué truffé d’hypocrisie, publié lundi 19 mai 2025, le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) a « fermement condamné » l’agression d’un enseignant lors de la cérémonie officielle du 18 mai au Cap-Haïtien. Selon la version officielle, « un policier » aurait frappé « un professeur » au cours d’un « incident regrettable ». Le hic ? Il ne s’agissait pas d’un policier, mais de trois — dont une policière — et ce n’était pas un malheureux accident, mais une répression violente, méthodique, publique. Un affront dans les règles de l’art, sous les regards complaisants des autorités.

Mais ce n’est pas tout. Dans son élan d’indignation feinte, le MENFP n’a même pas pris la peine de nommer la victime. Il évoque vaguement « un professeur », sans jamais le citer. Ce professeur, c’est Williamson Saint-Fleur, enseignant connu pour ses revendications constantes, pacifiques, légitimes. Quant au ministre Augustin Antoine, directement concerné, il semble avoir découvert l’affaire via les réseaux sociaux — comme s’il dirigeait un ministère fantôme. Oublier le nom d’un enseignant battu pour avoir réclamé son dû ? C’est l’exploit d’une indifférence institutionnalisée.

Le communiqué parle d’un « acte inacceptable » et d’une « atteinte à la dignité du corps professoral ». Vraiment ? Depuis quand le MENFP se soucie-t-il de cette dignité ? Depuis qu’il refuse de payer les salaires à temps ? Depuis qu’il tolère des conditions de travail indignes dans les écoles publiques ? Depuis qu’il laisse les enseignants croupir dans l’oubli administratif ? L’agression de Saint-Fleur n’est pas une anomalie : elle est le prolongement logique de ce mépris gouvernemental.

L’ironie atteint son comble quand le ministère appelle au « respect des enseignants ». Ceux-là mêmes qu’il affame, qu’il invisibilise, qu’il pousse à manifester pour être vus, entendus, reconnus. Pendant que le MENFP distribue des médailles en plastique le 16 mai, il laisse matraquer ses enseignants deux jours plus tard. Loin d’un hommage national : un théâtre d’ombres.

Et que dire de l’appel à « un sursaut patriotique collectif » ? Une formule creuse, digne d’un roman de science-fiction. Car du patriotisme, le ministre n’en manifeste aucun : pas un mot de compassion sincère, pas une visite à la victime, aucune volonté d’ouvrir le dialogue ou de garantir la sécurité des enseignants. Juste un joli communiqué pour sauver les apparences, pendant que les professeurs, eux, saignent — pour de vrai.

Le plus affligeant, ce n’est peut-être pas le fait que le MENFP ne s’en soucie guère, c’es le fait qu’il prenne tout le monde pour des imbéciles. Il ment par omission, maquille par flatterie, tente de laver son image à l’eau de javel médiatique, en espérant que l’opinion publique se contentera de son indignation en papier recyclé. Mais les faits sont têtus. Les vidéos existent. Les témoins aussi. Le ministère pourra bien travestir la réalité — il ne pourra pas effacer les marques laissées sur le visage d’un homme venu simplement réclamer justice.

Quand le MENFP fabrique l’indignation : trois policiers, un ministre amnésique et un enseignant invisible

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