Ankèt

Répression sélective : deux visages d’une même République

Magalie Habitant, ancienne directrice du Service national de gestion des résidus solides (SNGRS), a été arrêtée en janvier dernier à Laboule 12 par la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Elle est accusée d’association de malfaiteurs et de financement de groupes armés. Le dossier est lourd : échanges réguliers avec des chefs de gangs, transferts d’argent via MonCash, messages vocaux et conversations WhatsApp prouvant son implication dans l’achat de munitions.

Et pourtant. Lors de son arrestation, pas une gifle. Pas de gaz lacrymogène. Pas même une bousculade. On l’a interpellée calmement. Elle s’est présentée devant la justice presque avec courtoisie, escortée par des policiers soucieux de son confort. On aurait dit qu’on protégeait une diplomate, pas une accusée de financement du terrorisme.

Pendant ce temps, le 18 mai 2025, jour de la fête du drapeau, à Cap-Haïtien, trois policiers — dont une femme — ont roué de coups un enseignant. Son nom : Williamson Saint-Fleur. Un professeur respecté, connu pour son engagement pacifique, pour ses revendications dignes et constantes. Il ne portait pas d’arme. Il ne faisait que réclamer justice. Mais à lui, la République a offert la matraque. Des coups. Des humiliations. Une violence froide et publique, comme si son simple statut de citoyen revendicatif le rendait coupable d’exister.

Et le plus choquant ? Le traitement médiatique et institutionnel. Dans un communiqué publié le 19 mai, le ministère de l’Éducation nationale (MENFP) parle d’un « professeur » agressé par « un policier ». Un seul. Sans nom. Sans visage. Comme si, en réduisant les faits, on pouvait réduire la violence. Comme si, en taisant le nom de Saint-Fleur, on pouvait effacer les traces de son sang sur le sol.

Mais il s’appelle Williamson Saint-Fleur. Il est professeur. Il proteste. Il vit. Il a été frappé. Et le MENFP, son propre ministère de tutelle, l’a rendu invisible.

Pendant ce temps, Magalie Habitant fanfaronne. Elle affirme ne rien regretter. Elle crie au complot politique. Et l’État l’écoute. Pas d’humiliation. Pas de cellule sombre. Pas de menottes exhibées. Rien. Une gestion en douceur.

C’est dans ce contraste que réside le scandale : dans ce pays, les alliés des gangs sont parfois traités avec plus d’égards que les enseignants. On protège ceux qui financent la violence, et on brutalise ceux qui réclament un salaire. On encadre les criminels, on piétine les éducateurs.

Ce n’est pas une erreur. C’est un choix. C’est une politique assumée : la répression sélective, l’impunité protégée, le silence organisé.

Ce qui choque ici, ce n’est pas seulement la violence. C’est l’hypocrisie. Le théâtre. La conviction, chez ceux qui gouvernent, que la population est trop fatiguée pour voir la différence entre justice et mascarade.

Mais les vidéos existent. Les témoins aussi. On peut maquiller les mots, pas les coups.

Tant que le MENFP ne nommera pas ses victimes, tant qu’aucune plainte formelle ne sera déposée, tant que des excuses publiques ne seront pas présentées, il restera complice. Silencieux. Mais coupable.

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